L’ethnologue Marc Augé, qui fut directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris, appelle « frontières subtiles » les liens que tout individu depuis sa naissance jusqu’à sa mort tisse avec des personnes, des lieux ou des événements ; liens qui constituent des lignes de démarcation fluides l’unissant aux autres ou le séparant d'eux. De ses propres séjours dans différents pays d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine, il tire la conclusion suivante :

« il n’y a pas d’autre définition possible de l’individu humain que celle d’un être relationnel existentiellement ouvert, offert, à l’extérieur et à l’altérité. Comment m’étonnerais-je (…) que l’Afrique, l’Amérique latine ou l’Italie m’aient changé, influencé, modelé, contradictoirement au besoin, tout autant que mes origines bretonnes et mon éducation parisienne ? Quelle est donc, où est donc, ma « culture », pour reprendre un mot bien galvaudé aujourd’hui ? (…) si quelques noms de pays ou de villes me font toujours tressaillir quand je les entends prononcer aujourd’hui, c’est parce que, en un sens, ils m’appartiennent, ou plutôt que je leur appartiens parce que je me sais très légèrement différent de ce que je serais si je ne les avais pas rencontrés. »[1] 

La réflexion de Marc Augé s’inscrit dans la lignée des critiques faites aux penseurs culturalistes qui postulent d’emblée l’existence de frontières quasi-physiques entre les cultures et les civilisations. L’ouvrage publié en 1996 par l'Américain Samuel Huntington, professeur à Harvard, sous le titre The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (traduction française : Le choc des civilisations, Editions Odile Jacob, 1997) est une illustration parfaite de ce courant de pensée. Pour les culturalistes, le monde est une mosaïque de civilisations s’opposant les unes aux autres. Marc Augé, quant à lui, considère qu’il faut « penser à partir de l’individu » pour bien se rendre compte de la subtilité et de la mobilité des frontières.

 

Denis Dambré

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