La négresse arriva. Un de mes lointains neveux [...] épousa une Somalienne d'une beauté foudroyante. Fille d'un chef de tribu rebelle qui avait eu des ennuis dans son pays, elle était devenue à dix-neuf ans un des mannequins vedettes de la célèbre cabine de Chanel. Mon neveu l'avait rencontrée à Longchamp et s'était toqué d'elle. Avec un peu d'imprudence, il l'amena à Plessis-lez-Verdreuil pour une intronisation officielle. Mon grand-père accueillit assez mal l'Africaine nouvelle venue. Il la rudoya. Il la maltraita. Mais les avanies glissaient sur ses allures de princesse comme l'eau boueuse de la mare sur les plumes d'un canard. [...] Elle avait décidé en tout cas d'avoir un faible pour son bourreau et elle ne cessa jamais de lui témoigner une respectueuse affection. Tant de patience mêlée à tant de beauté finit par apprivoiser le monstre réactionnaire qui avait pour principe de ne jamais faire les choses à moitié. La Somalienne l'emporta. Mon grand-père l'adora.

Jean d'Ormesson, Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit, Robert Laffont, 2013, p. 80-81

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